Valeurs et frontières politiques du développement durable
Auditions-débats

Paul-Henri BOURRELIER
Fondation Concorde - Ecologie bleue

 

http://b.ecologie.free.fr

 

8 octobre 2002 - 18H30

Atelier commun Concorde - Ecologie bleue

Catastrophes naturelles
et sécurité
 

 Groupe « Développement durable »

 Le Club Concorde et Ecologie bleue ont décidé d'organiser un groupe de travail commun[1] sur le thème du développement durable « après Joburg ». Dans le cadre de la première série de réunions-débats (audition et débat autour des experts reconnus),

Paul-Henri Bourrelier
Vice-président délégué de l'association française pour la prévention des catastrophes naturelles
Membre du Comité de la prévention et de la précaution (MEDD)
 Ancien Directeur général du BRGM (Bureau de Recherche Géologique et Minière)

Catastrophes naturelles et sécurité

Problématiques spécifiques : risques et assurance ;
a
lerte, circuit de l'information et responsabilité des acteurs

Relevé de l’audition – débat  établi par Patrice HERNU

 à Avertissement : le relevé se veut fidèle quant à la signification et les enseignements que notre atelier peut en tirer. Mais les mots, en partie déjà les nôtres, n’engagent que nous. Le débat n’a pas été enregistré.. Par souci d’honnêteté et d’efficacité, nous relatons ce que nous tirons de ce débat, là où nous sommes, compte tenu de ce que nous sommes. Ce texte a toutefois été soumis à l’attention du conférencier.

 Paul-Henri BOURRELIER rappelle d’entrée que sur des sujets qui appellent par nature des points de vue transversaux, il est nécessaire de s’entendre sur les mots. Particulièrement dans un domaine où l’approximation serait dangereuse.

Précisément, distinguons bien risque et danger.

Si le danger est un concept d’ordre général, le risque relève de la gestion opérationnelle de ce danger. La risque implique donc  procédures de gestion, probabilisation des diverses facettes de l’aléa, et donc en résumé tout ce qui peut permettre de passer du danger pur au  « danger mesurable », le terme « mesurable » étant à apprécier dans ses diverses dimensions notamment d’évaluation et de procédures d’action.

 Evoquant les risques naturels, on parle en fait de catastrophes.

 Les mots ont leur sens où la France là comme ailleurs développe son exception. Ainsi on parle de « risques majeurs » là pour la communauté internationale, il n’y a que catastrophes naturelles (« disasters »).

 Il est vital que les mots facilitent les échanges d’expérience à l’échelle internationale. C’est ainsi qu’après une décennie de travaux et d’études sur les catastrophes sous le patronage des Nations Unies, Paul-Henri BOURRELIER a trouvé pertinent le développement d’une plateforme d’échange. Ce fut donc l’Association Française pour la Prévention des Risques Naturels, au-delà des camps politiques puisque, aussi bien, le Sénateur socialiste DONGE  et le député UMP des Bouches du Rhône  Christian KERT anime ensemble les efforts de cette association. A coté, les institutions officielles ne sont pas restées inactives. On citera les éléments très utiles rassemblées dans le rapport  de Robert GALLEY ainsi que dans le rapport du Sénat sur les inondations où beaucoup d’éléments pertinents se trouvent déjà. Reste à en tirer profit utilement.

 Paul-Henri Bourrelier qui anime cette association explique combien il est difficile en France de faire avancer des dossiers quand on donne le sentiment d’empiéter sur les territoires de l’administration française. C’est donc la dimension réseau pour laquelle l’administration n’a qu’une faible vocation, que cette association tente de déployer en direction des Associations de défense, des Maires et des Conseils généraux.

 En effet, coté méthodologie, on sait déjà faire pour l’essentiel. La chaîne qui mène du risque à la prévention, à l’alerte, à la gestion de crise puis à la réparation et, enfin au retour d’expérience, est relativement bien maîtrisée, conceptualisée, organisée. D’ailleurs, on n’invente rien puisqu’on se contente d’appliquer les règles de l’Académie des Sciences des USA. Ce qui a conduit principalement, par rapport à notre propre expérience, à mieux prendre en compte l’implication des « stakeholders » (imparfaitement traduit par parties prenantes).

 Ainsi, on sait bien différencier la part de l’aléa et  celle de la vulnérabilité. Qu’il s’agisse des risques naturels, des risques sanitaires ou d’autres types de risques, la typologie de base est un invariant.

 Pour ce concerne les risques naturels, on peut même avancer que le débat est plus difficile car bien des facteurs sont distincts de l’aléa.

 Paul-Henri BOURRELIER propose de développer les deux points prévus : la réparation d’une part, le schéma d’alerte d’autre part

1.       Réparation, indemnisation

 La question est « Quelles solidarités faire jouer ? »

 Notamment doit-on préférer la mutualisation nationale ou un dispositif assurantiel ?

 Les dommages cumulés peuvent être  considérables. Par conséquent, malgré l’existence d’un processus de réassurance, il y a toujours un niveau où les « reins des réassureurs s’avèreront insuffisamment solides ».

 Les années  80 ont été caractérisées par la montée des dommages. Leur ampleur résulte du croisement de l’aléa et de la vulnérabilité. Or la société est plus vulnérable parce que, d’une part, le patrimoine concerné est plus important et que, d’autre part, cela va de pair le plus souvent, il est vulnérabilisé par des facteurs tels que l’imperméabilisation des sols si l’on considère les crues par exemple. Mais cela peut être généralisé.

 Evaluer dans de telles conditions peut ne pas être simple. De fait, les assureurs ont dit qu’ils ne savaient pas faire.

 Comme il est difficile d’invoquer la responsabilité quand le savoir faire manque, on a abouti à un système hybride où, pour pallier le déficit des compétences, l’Etat est devenu le pilote apparent des assureurs. C’est lui qui déclare l’état de catastrophe naturelle, qui rend obligatoire la réparation et c’est encore lui qui fixe le taux des primes. De plus comme en fin de chaîne il assure la réassurance par le biais d’une compagnie publique qu’il garantit.

 On a donc assisté à une mutualisation rampante. Mais en réalité, le système s’équilibre. Si le taux de surprime n’est pas suffisant, les assureurs demandent à l’Etat de majorer le taux de prime. Ce qui s’est produit récemment à la suite des inondations exceptionnelles. Faute de quoi, la caisse de réassurance publique aurait été en faillite. La mutualisation intervient donc au second degré. Mais elle est une réalité.

 L’Etat couvrira donc les ¾ en cas de grandes catastrophes.

 Le défaut d’un tel système est bien connu : il est déresponsabilisant.

 En revanche, en période de croisière, tous ces systèmes « fonctionnent »  si ce n’est que personne n’a la pleine responsabilité du contrôle de l’inflation de la dépense.

 Certes, le Ministère des Finances a mis en place un système où la franchise peut être majorée dès lors que les Maires n’auraient pas appliqué la prévention correctement. Outre qu’il est injuste parce que décidé  a posteriori, ce verrou incite peu à la prévention. Les populations pauvres trinquent le plus par construction.

 Les efforts et les réflexions commandent donc de plutôt développer un système qui donne un signal du risque encouru.

 D’abord cela obligerait les assureurs à faire leur métier, c’est à dire à réellement évaluer le risque. Un tel principe peut sembler théorique mais il permet de progresser.

 Aux USA, le premier élément qu’on considère lors d’une implantation nouvelle est le tarif de l’assurance.

 En France, on privilégie toutes sortes d’autres considérations. Même en cas d’accident, il n’y a aucune incitation (de type non strictement réglementaire) à aller ailleurs lorsque l’assurance joue.

 Chaque système a ses défauts. Aux USA comme en Allemagne, le problème de la non assurance existe. En revanche, concrètement, ces pays ont par exemple réussi à déplacer des communautés hors de zones inondables en combinant une bonne gestion des principes de l’assurance avec des aides (couvrant les externalités dont la responsabilité n’était pas directement imputables aux populations concernées Ntr[1]).

 La loi dite « Barnier » a par exemple prévu, avec le même objectif qu’on pouvait exproprier lorsque les riverains étaient dans une situation à risque grâce à des financements prélevés sur le fond des assurances. Mais une telle procédure s’avère souvent abominable et finalement la bonne façon de n’aboutir à rien.

 Donc complétons la question initiale « Quelles solidarités faire jouer ? » par  « A quel niveau mutualise t-on ? »

 La comparaison des expériences indiquent qu’il faut une certaine souplesse et mettre en place un dispositif qui contribue ou n’étouffe pas le développement du professionnalisme des assureurs. Ceux-ci, par exemple aux USA, éditent une bonne partie des normes.

 Dans notre culture, on pourrait considérer qu’ils sont ainsi juges et parties. Mais c’est aussi de cette façon, qu’on peut inciter à développer le « métier ». Ainsi, en France, en site SEVESO, on a une pratique insuffisante de l’évaluation des risques.  L’évaluation ne peut être étrangère à la norme.

 Tout chemine lentement.

 En France, sous le prétexte de séparer des rôles qui ne sont peut-être pas séparables, on a obtenu un système de tutelle inversée où, dans la réalité, les Assurances finissent par assurer la tutelle sur le bureau des Assurances de la Direction du Trésor.

 Paul-Henri BOURRELIER nous décrit alors les arcanes des parcours professionnels dans les corps respectifs, parcours dont les nécessités conduisent à cette situation.

 Tout a sans doute déjà été dit. Maintenant, il faut accepter les évolutions nécessaires.

 Selon lui, le parlement va dans le sens de ce qui est souhaitable. Peut-être faut-il l’aider ainsi que le gouvernement à hâter un peu le pas…

  1. La Chaîne de l’alerte

On a une connaissance du risque par l’expérience. De multiples dispositifs de vigilance sont en place : la veille sanitaire, météo France, etc. Derrière la vigilance, il faut enchaîner avec l’alerte et parfois le début de la gestion de crise.

 Avec la prise de conscience des besoins, le système s’est très instrumentalisé. Cela ne suffit pas toujours. Ainsi, dans le Gard, le système, pris globalement, n’a pas fonctionné.

Si l’on y regarde de plus près, deux notions dominent, celle de service public et celle de proximité.

En France, par culture, l’Etat et le citoyen sont responsables de la sécurité. Mais entre eux, il n’y a rien … ou presque.

Première conséquence : les dispositifs sont très inégalitaires car les lieux de la proximité citoyenne, les villes essentiellement, bénéficient de moyens très disparates.

Deuxième conséquence : du bulletin d’alerte de la météo à l’alerte, il y a un littéralement un gap qui fait problème.

En effet, Météo France ne peut prévoir les effets locaux d’une crue. Derrière ses services, il faudrait un service hydraulique qui n’existe pas. Le faut-il ? Peut-on faire autrement ? En premier lieu, comment l’alerte chemine t-elle ? Quel rôle Préfet joue t-il et peut-il jouer ?

En réponse à une interpellation, un préfet répondait de bonne foi : « J’ai envoyé un motocycliste ! » Il y a un siècle, il aurait envoyé un homme à cheval !

Ni les exercices, ni le tocsin ni les sirènes qui sont parfois rouillées, ne peut remplir le vide du cheminement de l’alerte dès lors que les populations ne sont pas éduquées au sens de tous ces messages. « Les gens ne savent ce que cela veut dire. »

Dès lors que le risque devient collectif, « l’aval », la chaîne qui va de l’alerte au citoyen, doit être collective.

Il y a là un grand chantier : trouver les articulations, mettre à l’aise les Maires qui ont besoin d’être soutenus, etc. Paul-Henri BOURRELIER pense ainsi que la Direction de la Sécurité civile devrait bénéficier des moyens modernes de communication au sein du Ministère de l’intérieur. Ces moyens, faute de les avoir seulement pensés, font défaut.

Mais tout ne veut venir du haut. Aussi, faudra t-il sans doute adosser ces moyens à un niveau territorial (régional) ayant réellement les moyens de développer, d’évaluer les politiques de l’alerte et de les projeter localement.

Il faut donc réfléchir à cet adossement. C’est en grande partie le débat sur la territorialisation de notre démocratie du quotidien. Il faut aussi combler le manque de lien en utilisant mieux les associations. Nous sommes très en retard sur ce qui passe en Suisse sur ce plan.

Il faut soutenir les Maires, actuellement seuls responsables légaux, et les intercommunalités qui gèrent des moyens mais ne sont pas responsables.

Le message de Paul-Henri BOURRELIER est donc clair à ce niveau. Quand on analyse les systèmes, l’empilement prévaut où se dissout la responsabilité. Une mise à jour institutionnelle est donc nécessaire. « Ce n’est pas en changeant trois ministères qu’on changera les choses ». L’Etat doit se réorganiser de telle sorte que la collectivité nationale joue son rôle. Pour qu’elle le joue, il doit se concentrer sur ses missions et donc conférer aux territoires, aux associations et aux citoyens comme à l’ensemble des parties prenantes la responsabilité déléguée de ce qu’ils savent le mieux effectuer.

C’est une révolution institutionnelle mais aussi des esprits. Vouloir prévoir d’en haut  le numéro des rues où la crue s’arrêtera est une vue de l’esprit. L’idée qu’on se fait de l’Etat doit être aussi prise en charge au niveau de la proximité. Il y a des niveaux adaptés à chaque tâche. Il faut aussi les articuler. C’est aussi cela la transversalité et non la confusion et la déresponsabilisation.

Suit un jeu de questions et réponses

Antoine Tristan MOCILNIKAR
Il remercie pour la clarté et le caractère concret de l’exposé. Et demande quels sont les grandes pistes et les grands chantiers de l’Association Française pour la Prévention des Risques Naturels.

P-H B

-   Constituer des réseaux avec les associations

-   Faire se développer et mieux coopérer l’information géographique : la cartographie IGN n’est pas suffisante. Les projets sont à trop long terme (10 ans). Mettre la cartographie en commun. Partager les informations.

-   Après les évènements du Gard, Bachelot veut mieux faire sur l’alerte comme sur la réparation : l’aider dans cette voie.

-   Contribuer donc à la future loi (sans doute en deux titres) que prépare BACHELOT élue d’une région inondable. Avancer et faire que les deux rapports parlementaires existants ne soient pas sous utilisés. 

Christian MARMAIN

MARTIN et LOTHARD : le système n’a pas fonctionné. Un dixième de la forêt seulement était assurée. Dans une telle situation, c’est impossible. Certes, il fallait aider la filière bois. Si la catastrophe avait un caractère  exceptionnel, il pourrait devenir récurrent ? Que faire alors ?

P-H B

Il y a des logiques propres à sortir du système assurantiel. Car les malheurs sont toujours inattendues. Il faut sans doute mieux séparer les logiques.

P HERNU
Pensez-vous qu’il faille élargir le principe de la responsabilité environnementales des acteurs et des entreprises en particulier ?

P-H B

Il faut traiter l’assurance environnementale en dehors de la question du risque naturel.

Didier PAUTARD (Cap Gemini Ernst & Young / Energy Utilities Public Service)
Discuter avec l’AMF, c’est difficile. Comment créer une vraie culture de la responsabilité individuelle ?

P-H B

D’accord avec vous. Un Maire doit négocier ces questions sous des contraintes qu’il faudra bien préciser.

Dominique MIGNON
Définissons aussi une politique de prévention en amont, d’autant plus nécessaire que cetraines causes sont désormais identifiables.

P-H B

On ne sait pas totalement ce que seront les conséquences du changement climatique auquel vous avez fait allusion. Il faut avant tout bien distinguer l’aléa et la vulnérabilité. Concernant l’aléa, il est  difficile de faire de la prévention. Concernant la vulnérabilité, avec les PPR, on peut effectivement mieux faire, mieux construire, mieux lotir demain mais refaire  tout ce qui a été fait hier est impossible !

Pour ce qui est déjà construit, on est souvent condamné à attendre que le risque  éclate. Surtout, il est malheureusement beaucoup plus facile d’agir quand le risque s’est manifesté. Prenez l’exemple de Toulouse. Pour le reste, on change la situation à la marge, progressivement, c’est à dire en 10, 20 voire 30 ans. Mais on parvient à des changements profonds au point que la mémoire s’altère. Ainsi, les crues centennales de la Loire provoquaient des centaines de morts, jusqu’à 1000 morts : or, cela ne se reproduira pas.

C’est un fait : on agit avec une plus marge de liberté lorsqu’on répare. Quand les digues ont cédé, on peut manifester la volonté politique de faire autrement. Sinon, c’est très difficile.

Tempérons ce constat que si on ne peut pas arrêter les catastrophes naturelles qui font évoluer la situation par la force, on peut faire beaucoup de choses. On n’est pas impuissant. Mais au-delà d’un certain degré, on ne peut plus arrêter le cours des choses. Il faut donc apprendre à vivre avec cette réalité. C’est toute une éducation.

A-T MOCILNIKAR
Merci pour cette conférence. Une dernière question d’importance pour nous : où peut-on joindre votre association.

P-H B
Au secrétariat de l’Ecole Nationale du GREF

Notes et relevé par Patrice HERNU

[1] Ntr : Note du rapporteur

Retrouvez les dossiers sur les sites

www.fondationconcorde.com

www.ecologiebleue.com

[1] Les contributions sur le thème de l’audition ou sur le DD en général sont à adresser par email à b.ecologie@free.fr (doc ou rtf). Merci d’accompagner les contributions supérieures à deux pages d’un résumé court (10 à 20 lignes maximum).